Hitchcock est sans doute le metteur en scène le plus célèbre de l'Histoire. Il est à ce jour le seul cinéaste dont le nom a donné lieu à un adjectif entré dans le langage commun et qui évoque à chacun son style cinématographique. Si tout le monde sait désormais ce qu'est un suspense "hitchcockien", ce n'est pas par hasard. C'est uniquement parce qu'il a su tout au long de sa carrière nous entraîner dans ses histoires, nous passionner, nous faire frissonner, nous émouvoir ou nous faire sourire sans jamais tomber dans la facilité ni renier ses principes esthétiques.
Voici donc une sélection des films majeurs de sa carrière, ceux qui ont bâti sa légende et en ont fait ce réalisateur hors norme, ce raconteur d'histoires sans égal et qui a tellement innové.
Je n'ai pas fait de classement style "hit parade", c'était trop compliqué et sans grand intérêt et me suis donc contenté de présenter ces films par ordre chronologique. S'agissant d'une sélection, il demeure forcément une petite part d'arbitraire dans ce choix mais j'ai essayé de ne retenir que le meilleur du meilleur, comme tous les choix il peut être discutable mais chaque amateur d'Hitchcock peut y trouver son compte.
Les films de la période anglaise
1935
Les 39 marches
(The 39 steps)
Production : Gaumont British Pictures
Producteur : Michael Balcon avec Ivor Montagu
Scénario et adaptation : Charles Bennett et Alma Reville (d'après le roman de John Buchan)
Dialogues additionnels : Ian Hay
Décors : Otto Werndorff et Albert Jullion
Musique : Louis Levy
Studios : Lime Grove (Londres)
Durée : 1h21 (N & B)
Date de sortie GB : juin 1935
Distribution : Madeleine Carroll (Pamela), Robert Donat (Richard Hannay), Lucie Mannheim (Annabella Smith), Godfrey Tearle (Professeur Jordan), Peggy Ashcroft (Mme Crofter), Wylie Watson (M. Memory).
L'histoire : Un jeune Canadien Richard Hannay (Robert Donat) fait la connaissance dans un cabaret d'une étrange inconnue Annabella Smith (Lucie Mannheim) qui lui demande si elle peut passer la nuit chez lui. Il accepte volontiers mais au milieu de la nuit la jeune femme vient mourir poignardée sur son lit, non sans lui révéler un secret sur une organisation criminelle internationale appelée Les 39 marches. Rapidement poursuivi par des bras armés de l'organisation, Hannay est obligé de fuir et de partir à la recherche de leur chef (Godfrey Tearle) dont il sait par Annabella qu'il lui manque la dernière phalange du petit doigt d'une main. Flanqué de Pamela (Madeleine Carroll), la fille du chef de la police, tout d'abord convaincue de sa culpabilité, il n'est pas au bout de ses surprises.
Mon analyse : Les 39 marches est un film fondateur de l'œuvre d'Hitchcock. Dans la lignée de ce qu'il avait déjà pleinement réussi avec L'Homme qui en savait trop en 1934, ce thriller plein d'action est encore plus complet et contient l'essence même de tous les ingrédients présents dans ses plus grands films : une histoire d'amour, une bonne dose d'humour, du suspense, un excellent MacGuffin, un homme accusé à tort, un méchant inquiétant… bref, toute la quintessence de ce qu'il fera des années durant et qui sera sa marque de fabrique.
Le film est une adaptation assez libre (comme toujours chez Hitchcock) du roman éponyme de John Buchan. Ce qui plaisait au cinéaste dans ce roman était l'"understatement", ce mot qui n'a pas d'équivalent en français signifie globalement la "sous-estimation", c'est à dire le traitement léger d'événements très graves. Il s'en servira fréquemment par la suite.
Les 39 marches qui existent réellement dans le livre puisque ce sont elles qui permettent d'accéder au repaire de l'organisation, restent beaucoup plus floues dans le film, ce nom n'est rien d'autre que celui de l'organisation elle-même. Enfin, le personnage de M. Memory, génial vecteur du MacGuffin est une invention d'Hitchcock qui se souvenait avoir jadis assisté à un spectacle un peu similaire. Il est victime de sa conscience professionnelle, tué par les siens parce qu'il ne peut s'empêcher de répondre à Hanney quand il lui demande ce que sont Les 39 marches.
Servi par des acteurs impeccables, la scène durant laquelle Pamela et Hanney sont menottés et essaient de dormir est pleine d'humour et de sensualité, Les 39 marches est un pur moment de bonheur et on ne s'ennuie pas une seconde. Il n'est autre qu'une première ébauche de ce que sera bien plus tard Cinquième colonne et bien sûr La Mort aux trousses, tourné avec des moyens sans commune mesure.
Le film a obtenu un très bon accueil, y compris auprès de la critique et reste le plus grand succès anglais d'Hitchcock.
Il a permis aux producteurs hollywoodiens de remarquer ce jeune réalisateur britannique au physique ingrat mais dont le talent n'avait rien à envier à ses homologues américains. Ils n'allaient pas tarder à se souvenir de lui…
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles (Madeleine Carroll), Les acteurs essentiels (Robert Donat), A la recherche du MacGuffin, Coups de griffes (Les erreurs dans les films), Portraits de méchants (Godfrey Tearle).
1938
Une Femme disparaît
(The Lady vanishes)
Production : Gainsborough Pictures
Producteur : Edward Black
Scénario : Sidney Gilliat et Frank Launder (d'après le roman de Ethel Lina White "The Wheel Spins" [On ne meurt vraiment qu'une fois])
Décors : Alec Vetchinsky, Maurice Cater et Albert Jullion
Musique : Louis Levy
Studios : Lime Grove (Londres)
Durée : 1h37 (N & B)
Date de sortie GB : décembre 1938
Distribution : Margaret Lockwood (Iris Henderson), Michael Redgrave (Gilbert Redman), Paul Lukas (Dr Hartz), Dame May Whitty (Miss Froy), Googie Withers (Blanche), Cecil Parker (Eric Todhunter), Linden Travers (Margaret Todhunter), Mary Clare (la baronne), Basil Radford (Charters), Naunton Wayne (Caldicott).
L'histoire : Un petit village perdu quelque part dans les Balkans. Un train est bloqué par la neige obligeant les voyageurs à s'entasser dans le seul hôtel existant. Iris (Margaret Lockwood) jeune Anglaise qui retourne dans son pays rejoindre son futur mari est importunée par un musicien (Michael Redgrave) qui la réveille en pleine nuit. Le lendemain matin, alors qu'elle est sur le point de monter dans le train, Iris reçoit un pot de fleurs sur la tête qui manque de l'assommer. Durant le voyage, elle fait la connaissance d'une charmante vieille dame Miss Froy (Dame May Whitty), Anglaise comme elle avec qui elle sympathise. S'étant assoupie quelques instants, Iris se rend compte que Miss Froy a disparu et que tout le monde semble nier qu'elle était à bord. Un médecin un peu inquiétant, le Dr Hartz (Paul Lukas) essaie de lui faire croire que le choc à la tête qu'elle a subi aurait des conséquences sur son état mental. Sûre de ce qu'elle a vécu, Iris qui parvient à convaincre Gilbert, le musicien, de l'existence de la vieille dame se lance en sa compagnie à sa recherche dans le train. Ils y font de curieuses rencontres, les passagers étant tous plus inquiétants et singuliers les uns que les autres.
Mon analyse : Un film plus engagé et plus grave qu'il n'y paraît de prime abord. Sous un style léger se cache en fait un plaidoyer contre l'immobilisme qui mène tout droit à la guerre et la nécessité de prendre les choses en main pour décider de son propre destin. Il est vrai qu'à l'époque du tournage les troubles étaient déjà nombreux et leur intensité ne faisait que croître, ce qui a sans doute incité Hitchcock a faire passer ce message. Malgré tout, l'humour est très présent dans le film.
En plus du couple formé par Margaret Lockwood et Michael Redgrave, la distribution est excellente. Du duo d'invétérés amateurs de cricket à l'inquiétant médecin en passant par la délicieuse Miss Froy ou la surprenante bonne sœur en talons aiguille, c'est au final un aréopage hétéroclite mais très réussi qui se retrouve enfermé dans ce train. Outre le MacGuffin un peu surréaliste, les situations sont souvent cocasses et drôles. Un bon film qui par son succès scella le sort d'Hitchcock et le propulsa vers les Etats-Unis. Selznick, le producteur le plus influent d'Hollywood l'a en effet convaincu que son talent s'exprimerait plus pleinement en bénéficiant de moyens sans commune mesure avec ceux dont il disposait en Angleterre. Il devait avant cela réaliser un dernier film dans son pays, La Taverne de la Jamaïque qui ne lui laissera pas un souvenir très gai…
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles (Margaret Lockwood), A la recherche du MacGuffin, Portraits de méchants (Paul Lukas), Friand'Hitch (le duo Basil Radford et Naunton Wayne).
Les films de la période américaine
1941
Soupçons
(Suspicion !)
Producteur : Caroll Clarck pour RKO
Scénario : Samson Raphaelson, Joan Harrison et Alma Reville (d'après le roman de Francis Iles (Anthony Berkeley) "Before the Fact")
Décors : Van Nest Polglase
Effets spéciaux : Vernon L. Walker
Musique : Franz Waxman
Studios : RKO
Durée : 1h39 (N & B)
Date de sortie USA : novembre 1941
Distribution : Cary Grant (John Aysgarth "Johnnie"), Joan Fontaine (Lina Mac Kinlaw), Sir Cedric Hardwike (général Mac Kinlaw), Nigel Bruce (Beaky), Dame May Whitty (Mme Mac Kinlaw), Isabel Jean (Mme Newsham).
L'histoire : Lina Mac Kinlaw (Joan Fontaine), une jeune fille de bonne famille riche mais coincée rencontre fortuitement un séducteur désargenté Johnny Aysgarth (Cary Grant). Dès leur deuxième rencontre, elle tombe amoureuse de lui malgré la désapprobation de son père qui lui connaît une réputation peu flatteuse. Ils se marient en cachette et font un voyage de noces somptueux. Pour vivre leur amour, Johnny loue une somptueuse maison mais très vite Lina se rend compte que son nouveau mari n'est pas celui qu'elle croit. Il est menteur, joueur et oisif. Lorsque Beaky (Nigel Bruce), le meilleur ami et associé de Johnny meurt dans des circonstances mystérieuses, les doutes de Lina deviennent de plus en plus terribles…
Mon analyse : Après des débuts américains moins enthousiasmants qu'il ne les avait espérés, Rebecca n'était pas un film pour lui, Correspondant 17 une série B intéressante mais sans éclat et Joies matrimoniales une comédie sans prétention, Hitchcock s'est attelé à l'adaptation d'un roman de Francis Iles. Malheureusement, il n'a pu tourner la fin telle que figurant dans le roman et il l'a regretté, à tel point qu'il ne savait pas très bien comment finir son histoire. Plusieurs fins ont été envisagées et devant la somme de problèmes, l'existence même du film a été compromise. Pour finir, Hitchcock aurait souhaité que Johnny Aysgarth alias Cary Grant soit vraiment un meurtrier qui assassine sa femme en lui faisant boire un verre de lait empoisonné. Le piquant de l'histoire étant que l'épouse juste avant de boire ce verre, lui demande de poster une lettre dans laquelle elle révélait ses agissements ayant compris les funestes intentions de son époux. L'homme partait alors mettre l'enveloppe dans une boîte à lettres en sifflotant, heureux de s'être débarrassé de sa femme mais sans se douter qu'il envoyait sa propre condamnation.
Cette fin peut bien sûr paraître plus intéressante que celle retenue, mais comme je l'ai précisé dans son "Portrait de méchant", il n'était pas possible de faire de Cary Grant un meurtrier compte tenu de son statut de star. Autres temps, autres mœurs…
Les déboires d'Hitchcock n'allaient pas s'arrêter là puisqu'une fois le tournage terminé, il prend des vacances et s'aperçoit à son retour que la censure a sévi avec force et taillé dans le film toutes les scènes pouvant laisser croire que Cary Grant était coupable, de telle sorte que le film ne durait plus que 50 minutes… Heureusement, le cinéaste parviendra à le faire remonter tel qu'il l'avait voulu.
Soupçons est malgré tout excellent et marque la première collaboration d'Hitchcock avec Cary Grant, un des acteurs qui comptera le plus pour lui. Toute l'histoire nous est contée du point de vue de Joan Fontaine, les errements de son mari, ses propres inquiétudes, la montée de son angoisse… l'art du Maître consiste à entretenir le doute et l'ambiguïté et pour une fois le spectateur ne sait rien de plus que l'héroïne et ne découvre la vérité qu'à la fin. C'est exceptionnel dans l'œuvre d'Hitchcock où généralement le spectateur est mis au courant d'éléments importants bien avant le héros et à son insu. Cette singularité tient au fait que la fin du film a été incertaine jusqu'à la toute dernière extrémité du tournage.
De nombreuses scènes retiennent l'attention, lorsque Johnnie espère toucher la fortune du père de Lina ou quand cette dernière en jouant à l'anagramme forme "murder" (meurtrier) ce qui éveille soudainement chez elle des soupçons envers son époux. Bien entendu, la célèbre scène finale lorsque Cary Grant monte à Lina le fameux verre de lait que l'on soupçonne empoisonné, est un classique du genre, une scène typiquement hitchcockienne. Soupçons est aujourd'hui un film injustement un peu oublié, il porte pourtant incontestablement l'empreinte d'Hitchcock et a connu un beau succès à sa sortie.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles (Joan Fontaine), Les acteurs essentiels et Portraits de méchants ( Cary Grant).
1943
L'Ombre d'un doute
(Shadow of a doubt)
Production : Universal
Producteur : Jack H. Skirball
Scénario : Thornton Wilder, Sally Benson et Alma Reville (d'après un sujet de Gordon Mc Donnell)
Décors : John B. Goodman, Robert Boyle, A. Gausman et L.R. Robinson
Musique : Dimitri Tiomkin dirigée par Charles Previn
Studios : Universal, extérieurs à Santa Rosa (Californie)
Durée : 1h48 (N & B)
Date de sortie USA : janvier 1943
Distribution : Joseph Cotten (Charlie Oakley, l'oncle), Teresa Wright (Charlie Newton), MacDonald Carey (Jack Graham, le détective), Patricia Collinge (Emma Newton, la mère), Henry Travers (Joseph Newton, le père), Edna May Wonacott (Ann, la soeur), Hume Cronyn (Herbie Hawkins), Wallace Ford (Fred Saunders).
L'histoire : Lassée d'une vie morne et sans relief dans sa petite ville de Santa Rosa, Charlie (Teresa Wright), pense que son oncle (Joseph Cotten) à qui elle voue une admiration sans bornes et prénommé Charlie tout comme elle pourra lui redonner la joie de vivre et embellir son quotidien. Lorsqu'elle s'aperçoit qu'il annonce sa venue alors même qu'elle partait lui télégraphier pour lui demander de venir séjourner dans la maison familiale , elle y voit un signe de forte osmose. Sa mère (Patricia Collinge) tout heureuse de retrouver son petit frère est aux anges et très vite toute la famille semble réunie en plein bonheur. L'oncle Charlie en se montrant généreux sait se faire apprécier de tous et sa nièce est sous le charme. Pourtant, au fil des jours, des petits détails troublants et des événements qui posent question sèment le doute dans l'esprit de la jeune Charlie qui se demande si son oncle est vraiment celui qu'il paraît être…
Mon analyse : L'expérience "Selznick" ayant été assez mitigée, Hitchcock a été "loué" fort cher (c'était pratique courante à cette époque) à un autre studio et c'est donc pour Universal qu'il a réalisé L'Ombre d'un doute. Ce film sombre est resté à jamais son préféré.
Le cinéaste appréciait principalement l'idée d'introduire une menace, personnifiée ici par l'oncle Charlie, au sein d'une paisible petite ville. Il reprendra cette idée sous une forme différente, 20 ans plus tard dans Les Oiseaux. L'arrivée du "diable" pourtant attendu comme le messie est ici figurée par l'imposant nuage de fumée noire craché par la locomotive du train qui amène l'oncle Charlie auprès de sa famille.
L'interprétation de Joseph Cotten qui campe l'un des méchants d'Hitchcock les plus réussis est magistrale (voir son "Portrait de méchant"). Séduisant mais monstrueux, il est impeccable dans le jeu du chat et de la souris qui l'oppose à sa nièce Charlie. On découvre progressivement, au gré des doutes de celle-ci, son côté machiavélique et manipulateur, assassin sans scrupules et sans regrets de vieilles dames fortunées. Le diable est démasqué et ses jours sont comptés.
Ce film nous pose parallèlement une question très difficile : et si l'un de nos proches cachait un terrible et répréhensible secret, si au lieu d'être l'être exquis dont on partage le quotidien c'était en fait un monstre, que ferions-nous ?
La jeune Charlie a tranché elle, ayant découvert la double facette de son oncle et les crimes dont il est l'auteur, elle lui dit clairement que s'il ne part pas, elle le fera disparaître elle-même craignant que la découverte de ses terribles méfaits ne soit fatale à sa mère qui voue à son petit frère un amour sans limite. Il décide donc de quitter les lieux mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu…
L'Ombre d'un doute joue sur la dualité entre l'oncle et sa nièce. Les scènes durant lesquelles on comprend que Charlie démasque l'ignoble vérité cachée par son oncle sont particulièrement efficaces, en tout premier lieu celle quand, après avoir échappé par deux fois aux pièges tendus par celui-ci, elle descend l'escalier en montrant ostensiblement sa main portant la bague qu'il lui a offerte glisser le long de la rampe. Le visage de l'oncle Charlie est évocateur du fait qu'il se sent démasqué et il annonce d'ailleurs précipitamment son départ pour le lendemain.
La petite famille est cocasse, typique de celles des villes américaines de province de cette période et nul ne semble se douter du danger qui rôde en la personne du charmant oncle venant couler des jours tranquilles.
La trame de l'histoire est sans failles et c'est bien un chef d'œuvre du film noir et son premier grand (et vrai) film américain dont Hitchcock nous gratifie.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles (Teresa Wright), Les acteurs essentiels et Portraits de méchants (Joseph Cotten), Les mères et leur influence (Patricia Collinge).
1946
Les Enchaînés
(Notorious)
Production : Alfred Hitchcock, RKO
Producteur associé : Barbara Keon
Scénario : Ben Hecht (d'après un sujet d'Alfred Hitchcock)
Décors : Albert S. D'Agostino, Carrol Clark, Sivera et Claude Carpenter
Musique : Roy Webb, dirigée par Constantin Bakaleinikoff
Studios : RKO, extérieurs à Miami, Los Angeles et Santa Anita Racetrack
Durée : 1h41 (N & B)
Date de sortie USA : septembre 1946
Distribution : Ingrid Bergman (Alicia Huberman), Cary Grant (Devlin), Claude Rains (Alexander Sebastian), Leopoldine Konstantin (Mme Sebastian, sa mère), Louis Calhern (Paul Prescott), Reinhold Schünzel (Le Dr Anderson).
L'histoire : Alicia Huberman (Ingrid Bergman) est une jeune femme qui mène une vie dissolue. Lorsque son père, ancien nazi, est condamné avant de se suicider, elle est approchée par Devlin (Cary Grant), un agent travaillant pour le gouvernement qui lui demande de collaborer pour infiltrer l'équipe dont faisait partie son père.
Tout est donc organisé pour qu'elle se retrouve en compagnie d'Alex Sebastian (Claude Rains) qui lui a jadis fait la cour et qui connaissait bien son père. Elle se laisse séduire par devoir mais très vite entre elle et Devlin se noue une histoire d'amour.
Elle part vivre à Rio chez Sebastian avec pour mission de récolter le maximum de renseignements sur ses coupables activités et se fait accueillir par la glaciale Mme Sebastian (Leopoldine Konstantin), la mère d'Alex.
Lorsque ce dernier la demande en mariage, elle s'en remet aux autorités qui trouvent là un excellent moyen d'accroître sa collaboration. Devlin qui paraît d'une froideur extrême vis-à-vis de cet événement, ne fait rien pour l'en empêcher.
Très vite ils découvrent les preuves d'agissements suspects de Sebastian qui, lorsqu'il découvre la trahison de son épouse, s'en remet à sa mère pour concocter une terrible vengeance…
Mon analyse : Les Enchaînés est un des films les plus aboutis d'Hitchcock, sans doute l'un des mieux construit aussi. L'intensité augmente de façon permanente, on se demande jusqu'où Devlin sera prêt à aller pour qu'Alicia mène sa mission à bien et surtout jusqu'à quel point elle acceptera de se sacrifier pour racheter les fautes de son père, ancien nazi. On s'aperçoit que son sacrifice est sans limite et la mène vers une fin certaine, amoureuse de celui qui l'a jetée dans les bras de son bourreau, le piège se referme peu à peu sur elle lorsque Sebastian découvre qui elle est vraiment.
Servi par une distribution sans aucune fausse note car outre le couple de stars Bergman-Grant, ce qui se faisait de mieux à cette époque et qui est comme toujours irréprochable, les rôles tenus par Claude Rains et sa mère tyrannique Leopoldine Konstantin sont formidables. Touchant malgré ses terribles agissements, Rains est excellent en "petit garçon" coincé entre une femme trop belle pour lui et qu'il vénère et une mère qui ne veut pas voir son rejeton lui échapper. Leopoldine Konstantin pour sa part joue avec justesse la terrible mère manichéenne et signe pour son seul film américain, un coup de maître !
On ne sait vraiment si les ennuis liés à "l'affaire" du MacGuffin et qu'Hitchcock aimait à raconter sont exacts dans les moindres détails mais peu importe. L'astuce est de toute façon bien trouvée mais elle a fait fuir David O. Selznick qui ayant reçu une lettre du FBI a préféré revendre le projet à la R.K.O. le jugeant trop dangereux.
Le film fut un succès et Truffaut avoua lors de ses entretiens qu'il était, avec Fenêtre sur cour, son film préféré d'Hitchcock, représentant par sa construction, la quintessence de son œuvre.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles (Ingrid Bergman), Les acteurs essentiels (Cary Grant), Portraits de méchants (Claude Rains), Les mères et leur influence (Leopoldine Konstantin), A la recherche du MacGuffin.
1951
L'Inconnu du Nord-Express
(Strangers on a train)
Producteur : Alfred Hitchcock pour Warner Bros
Scénario : Raymond Chandler et Czenzi Ormonde (d'après le roman de Patricia Highsmith)
Décors : Ted Hawortt et George James Hopkins
Musique : Dimitri Tiomkin, dirigée par Ray Heindorf
Studios : Warner Bros
Durée : 1h37 (N & B)
Date de sortie USA : juin 1951
Distribution : Farley Granger (Guy Haines), Robert Walker (Bruno Anthony), Ruth Roman (Ann Morton), Leo G. Carroll (le sénateur Morton), Patricia Hitchcock (Barbara Morton), Laura Elliot (Miriam Haines), Marion Lorne (Mme Anthony), Jonathan Hale (M. Anthony).
L'histoire : Dans le train qui le transporte vers son épouse avec laquelle il n'est toujours pas divorcé malgré une liaison faisant la une des magazines, Guy Haines (Farley Granger), joueur de tennis professionnel, rencontre par hasard un homme sympathique, Bruno Anthony (Robert Walker), oisif vivant aux crochets de son père. Au cours de la conversation, celui-ci lui propose un marché surprenant : un échange de meurtre. Il tuera son épouse alors que Haines le débarrassera de son père, brouillant ainsi les pistes. Convaincu qu'il s'agit là d'une plaisanterie d'un goût douteux, Haines quitte le train sans croire une seconde au sérieux d'Anthony. Celui-ci va pourtant tuer Miriam (Laura Elliot), l'épouse de Haines et très vite va exiger de ce dernier qu'il exécute également sa part du contrat. Haines découvre alors la vraie personnalité d'Anthony et s'apprête à vivre un véritable cauchemar…
Mon analyse : Après une série d'échecs assez préoccupante depuis Les Enchaînés, et notamment le fiasco des Amants du Capricorne qui a précipité la fin de sa société de production "Transtlantic Pictures" puis le désaveu du Grand alibi et ce malgré la présence de Marlene Dietrich, Hitchcock n'avait plus le droit à l'erreur. Quel meilleur remède que de revenir à un thriller taillé sur mesure ? L'idée de départ du film, tirée du roman éponyme de Patricia Highsmith, est diaboliquement géniale : deux hommes qui se rencontrent fortuitement dans un train décident (en tout cas l'un d'entre eux le pense) d'échanger leur meurtre afin de brouiller les pistes, aucun des deux ne connaissant sa victime et n'ayant de mobile justifiant son meurtre. Guy Haines traverse un divorce difficile et a toutes les raisons d'en vouloir à son épouse tandis que Bruno Anthony personnage indigent et dérangé déteste son père depuis de longues années et envisage de le supprimer sans toutefois vouloir le faire, sachant très bien qu'il serait le premier suspect. Il considère donc un peu vite que le pacte est scellé et assassine l'épouse de Haines, attendant en retour que celui-ci tue son père. C'est alors le début d'un long face à face terrifiant dont toute la crédibilité et la richesse repose sur l'interprétation de Robert Walker, l'un des méchants les plus réussis de l'œuvre d'Hitchcock (voir son "Portrait de méchant"). Le spectateur s'identifie plus volontiers à lui qu'au personnage pourtant plus positif mais moins charismatique joué par Granger.
Le film très noir mais très prenant relate une histoire purement hitchcockienne qui sait nous tenir en haleine jusque dans un final échevelé mêlant suspense et action.
Après ce succès qui tombe à pic, va s'ouvrir pour Hitchcock une décennie royale durant laquelle il va enchaîner les succès et bon nombre de chefs-d'œuvre. Il va se propulser au sommet du cinéma mondial pour de longues années et sa notoriété va devenir immense, grâce à des films qui vont rencontrer l'adhésion du public à défaut de celle des critiques américains. Son imagination débordante et sa maîtrise technique vont faire merveille et lui apporter la consécration et la fortune pourtant, jamais il n'a failli à la mission qu'il s'était fixée : envoûter, surprendre et distraire le public. Nul autre que lui ne l'a fait avec une telle constance.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les acteurs essentiels et Portraits de méchants (Robert Walker), Les mères et leur influence (Marion Lorne), Les acteurs et actrices français (Odette Myrtil et Georges Renavent), Friand'Hitch (Patricia Hitchcock actrice et le record de Leo G. Carroll).
1954
Le Crime était presque parfait
(Dial "M" for murder)
Production : Alfred Hitchcock pour Warner Bros/First National Pictures
Scénario : Frederick Knott (d'après sa pièce)
Décors : Edward Carrière et George James Hopkins
Musique : Dimitri Tiomkin, dirigée par lui-même
Studios : Warner Bros
Durée : 1h28 (couleurs, 3D Naturalvision)
Date de sortie USA : mai 1954
Distribution : Ray Milland (Tom Wendice), Grace Kelly (Margot Wendice), Robert Cummings (Mark Halliday), John Williams (l'inspecteur-chef Hubbard), Anthony Dawson (le capitaine Swan Lesgate).
L'histoire : Tennisman retraité et désargenté, Tom Wendice (Ray Milland) envisage de se débarrasser de Margot (Grace Kelly) son épouse infidèle mais fortunée afin de toucher l'héritage qui lui permettrait de couler des jours heureux. Il use alors de pressions et d'une somme d'argent non négligeable pour convaincre Lesgate (Anthony Dawson) une ancienne connaissance en mal d'argent de tuer son épouse en appliquant le plan diabolique qu'il a échafaudé. Il pensait avoir tout prévu dans les moindres détails mais lorsque son épouse lui annonce au téléphone qu'elle vient de tuer son agresseur en pleine nuit, il envisage un plan B qui consiste à faire retourner l'accusation contre elle…
Mon analyse : Le Crime était presque parfait est à première vue du théâtre filmé. C'est un peu vrai il faut bien le reconnaître puisqu'il s'agit de l'adaptation d'une pièce de Frederick Knotte et qu'on ne sort pratiquement jamais de l'appartement occupé par Grace Kelly et Ray Milland mais à cela il y a plusieurs raisons.
Tout d'abord, après sa série d'insuccès endiguée depuis L'Inconnu du Nord-Express, (même si La Loi du silence n'a pas obtenu un triomphe absolu, il a tout de même gagné de l'argent), Hitchcock ne voulait pas s'éloigner des fondamentaux, c'est à dire les histoires à suspense, matière qu'il maîtrisait parfaitement. Ensuite, les studios ayant décidé de surfer sur la mode de la 3D, ils imposèrent que ce film soit tourné avec cette nouvelle technique. Les contraintes étaient considérables puisque la taille de la caméra était gigantesque et afin d'obtenir l'effet voulu, l'action devait être limitée au maximum et filmée le plus possible au ras du sol. Hitchcock s'accommoda avec réticence à cet impératif et se désintéressa complètement du tournage pour se projeter déjà dans le suivant qui occupait toutes ses pensées…
Malgré tout, la présence de la délicieuse et encore méconnue Grace Kelly bien qu'inexpérimentée le faisait sortir de sa léthargie et égayait le tournage par ailleurs très contraignant. Il fut immédiatement sous le charme, comme tous ceux qui la côtoyaient d'ailleurs, et il savait déjà, avant même de lui en avoir parlé, qu'elle tiendrait le rôle féminin dans son prochain long métrage en gestation. Grace représentait pour Hitchcock l'exact reflet de la femme telle qu'il l'aimait et sans doute la désirait... Ses qualités d'actrice n'ont rien enlevé, bien sûr, à l'attrait qu'elle exerçait sur son mentor et dès sa première apparition, sa beauté a illuminé l'écran.
Le résultat de la 3D, en dépit des embûches qui ont jalonné le tournage, fut finalement inexistant puisque la mode de cette technique qui imposait le port de lunettes bicolores donnant des migraines épouvantables était déjà passée lors de la sortie du film en salles et très peu de distributeurs prirent la peine de proposer le film dans cette version.
Il reste malgré tout un film bien ficelé au suspense très efficace. Tout en sobriété, notamment dans la façon de montrer Grace Kelly lors de son procès puisque le fond est neutre et change seulement de couleur lors du déroulement des débats et la teneur des accusations. Cette histoire de ménage à trois nous captive, même si le rôle de Robert Cumming est de loin le moins intéressant, alors que Grace et Ray Milland se livrent un combat acharné, l'une pour sauver sa peau et l'autre pour la lui faire perdre. Le principe du film est celui de l'arroseur arrosé, avec l'assassin assassiné (Anthony Dawson), l'accusateur accusé (Ray Milland) et la condamnée triomphante.
Un film souvent diffusé à la télévision mais que l'on revoit toujours avec bonheur, fondateur du couple mythique Grace Kelly-Alfred Hitchcock qui aujourd'hui encore conserve tout son attrait et une part de mystère.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles et Coups de cœur (Grace Kelly), Portraits de méchants (Ray Millland et Anthony Dawson), Coups de griffes (Les erreurs dans les films), A la recherche du MacGuffin.
1954
Fenêtre sur cour
(Rear window)
Producteur : Alfred Hitchcock pour Paramount
Scénario : John Michael Hayes (d'après une nouvelle de Cornell Woolrich)
Décors : Hal Pereira, Joseph McMillan Johnson, Sam Corner et Ray Mayer
Musique : Franz Waxman
Studios : Paramount
Durée : 1h52 (couleurs)
Date de sortie USA : août 1954
Distribution : James Stewart (L.B. Jeffries "Jeff"), Grace Kelly (Lisa Fremont), Wendell Corey (Thomas J. Doyle, le détective), Thelma Ritter (Stella, l'infirmière), Raymond Burr (Lars Thorwald), Judith Evelyn (Miss Lonelyheart "Mlle Cœur Solitaire"),Ross Bagdasarian (le compositeur), Georgine Darcy (Miss Torso la danseuse).
L'histoire : Jeff (James Stewart), photographe cloué dans une chaise roulante avec une jambe dans le plâtre après un reportage qui a mal tourné, n'a d'autre occupation que de regarder par la fenêtre les faits et gestes de ses voisins. Ses seules distractions sont les visites de Stella (Telma Ritter), son infirmière ou de Lisa (Grace Kelly) sa superbe mais frivole fiancée. Malgré la désapprobation de l'une et de l'autre, il persiste à épier ce qui se passe dans les appartements situés dans l'immeuble d'en face.
Un matin, il découvre que l'épouse d'un locataire qui était alitée depuis longtemps a mystérieusement disparu et très vite il soupçonne son mari (Raymond Burr), dont les agissements semblent suspects de l'avoir éliminée…
Mon analyse : Les critiques qui n'ont vu en Fenêtre sur cour qu'un film dérangeant sur le voyeurisme n'ont vraiment rien compris à l'esprit du réalisateur. C'est bien plus que ça : une étude profonde sur nos relations aux autres et notre vie en société avec en trame de fond une forte histoire d'amour qui se noue entre Jeff et Lisa. Les aléas de ce microcosme qui joue sa partition sous nos yeux nous captivent et nous renvoient à nos propres existences.
Dès les premiers plans, la technique d'Hitchcock nous éblouis. Il nous montre à quel point il sait, avec seulement quelques images nous raconter une scène qui demanderait des pages de dialogue. On comprend immédiatement ce qui est arrivé au photographe Jeff sans qu'aucun mot ne soit prononcé : un appareil photo en miettes, une série de clichés montrant l'accident et enfin Jeff la jambe plâtrée, allongé dans sa chaise roulante… du grand art !
Un des aspects forts du film est l'évolution des rapports entre Jeff et Lisa. Alors que dès le début elle semble follement éprise, lui paraît beaucoup plus distant et ne semble voir en sa compagne qu'une jeune femme frivole plus préoccupée par ses toilettes et la mode que par le monde qui l'entoure. Lui en revanche est un baroudeur qui prend des risques et mène une vie spartiate et l'accident qui le cloue sur sa chaise roulante en est la preuve. Le coup de foudre de Jeff intervient lorsque Lisa est de retour après avoir risqué sa vie en allant chez Thorwald pour tenter de le confondre. Tout est dans le regard si bien transposé à l'écran par James Stewart. On y lit l'admiration et toutes les certitudes qui en découlent. Il sait que Lisa n'est pas seulement cette femme superficielle qu'il imaginait jusqu'alors mais bel et bien une future épouse au caractère bien trempé et qui vient de lui prouver son amour sans trembler.
Enfin, le film pour finir nous pose une dernière question, la justification de nos actes : lorsque Thorwald arrive dans l'appartement de Jeff et lui demande "que voulez-vous de moi ?", il ne sait que répondre car son attitude n'a pas de réelle justification, il a agi sans raison, seulement par ennui…
Fenêtre sur cour est aussi l'occasion pour les deux acteurs principaux d'asseoir leur statut de stars. Grace Kelly est devenue une actrice reconnue et sa beauté éclatante a subjugué les spectateurs et les critiques. Quant à James Stewart, Hitchcock a eu raison de voir en lui autre chose qu'un acteur se cantonnant aux rôles de cow-boy. Il a su percevoir une profonde sensibilité fort bien retranscrite à l'écran et qui sera encore plus patente dans Sueurs froides qu'il tournera un peu plus tard.
Outre les prouesses techniques qui ont permis de construire ce gigantesque décors hyper réaliste (voir le "Coups de projecteur"), tous les personnages, des vedettes aux seconds rôles sont choisis avec soin, tant l'inquiétant Thorwald que la touchante miss "Cœur solitaire", en passant par le jeune couple d'amoureux, tous jouent une partition sans fausse note.
Fenêtre sur cour reste aujourd'hui un des films préférés des amateurs du cinéma d'Hitchcock.
Liens vers d'autres articles : Les apparitions d'Hitchcock en images, Les actrices essentielles et Coups de cœur (Grace Kelly), Les acteurs essentiels (James Stewart), Coups de projecteur (Le décor), Coups de griffes (Les erreurs dans les films), Portraits de méchants (Raymond Burr).
Vers la 2ème partie