Souvent possessive, autoritaire, jalouse, castratrice même, la mère est rarement présentée comme un personnage positif dans l'œuvre d'Hitchcock. Faut il y voir un ressentiment envers sa propre mère ? C'est peu probable et sans doute très loin de la vérité car il a toujours parlé de celle-ci en termes élogieux et lui a voué une certaine admiration même s'il a parfois sous-entendu des relations qui pouvaient être difficiles. Il faut y chercher plus certainement les difficultés qu'il a toujours rencontrées avec la gent féminine, complexé par son physique et tourmenté par ses fantasmes. S'il a toujours magnifié ses héroïnes, chaque mère représente sans doute une part plus ou moins sombre des relations difficiles qu'Hitchcock entretenait avec les femmes. On ne retrouve pas en effet de "pères" aussi tourmentés ou négatifs au long de ses films.
Voici le portrait des mères les plus significatives apparaissant dans l'oeuvre du réalisateur et abordées par date de sortie des films.
A noter que seules les mères du héros ou de l'héroïne ont retenu mon attention. Même si elles ont parfois un rôle fort (comme par exemple Doris Day dans L'Homme qui en savait trop), les mères de jeune enfant qui sont donc également elles-mêmes l'héroïne ne sont pas évoquées.
L'OMBRE D'UN DOUTE
(SHADOW OF A DOUBT - 1943)
PATRICIA COLLINGE (Emma Newton, la mère de Charlie)
Gentille fofolle, aveuglée et dépassée.
Assurément Emma Newton, la mère de Charlie l'héroïne, est l'une des plus adorables brossées par Hitchcock dans un de ses films. Faut-il y voir le fait que sa propre mère est tombée malade pendant la préparation et est décédée durant le tournage de L'Ombre d'un doute le 26/09/42 ? Cela paraît improbable puisque le scénario était écrit bien avant en revanche, il semble acquis que le fait de la prénommer Emma comme la mère du réalisateur est bien une façon de lui rendre hommage et en quelque sorte de l'immortaliser.
Délicieusement un peu dérangée, la gentillesse personnifiée et toujours souriante, Emma Newton semble ne pas avoir de défaut majeur et porte un amour attentif à ses enfants, son époux et plus que tout envers son jeune frère (également prénommé Charlie) venu échapper à la police qui le traque. Elle s'investit à fond pour sa petite famille et semble être dévouée corps et âme pour le bien de tous. Elle méconnaît le "mal" et ne voit pas les horribles travers de son frère qui est en fait un dangereux criminel qui tue sans remords de riches veuves. Ce ne sera pas elle qui sauvera sa fille des griffes du "diable" mais bien l'inverse, la jeune Charlie en découvrant la vraie personnalité de son oncle protégera sa mère qui n'aurait pas supporté une telle trahison.
Patricia Collinge en bref : actrice irlandaise née en 1892 et morte en 1974. Essentiellement actrice de théâtre ou de seconds rôles, elle participe là à son deuxième film et tient sans doute son rôle le plus intéressant.
Egalement écrivain, elle a écrit la scène se déroulant dans le garage et durant laquelle le jeune détective déclare son amour à l'héroïne.
(NOTORIOUS - 1946)
Son regard glace le sang, rien ne peut lui arracher la moindre esquisse d'un sourire et elle développe instantanément une jalousie sans borne envers Alicia Hubermann qu'elle voit comme une rivale qui va lui voler son fils.
Elle manipule bel et bien Alexander qui n'ose s'opposer à elle, malgré son statut de chef d'un réseau nazi durant la seconde guerre mondiale, et pousse ce dernier à se débarrasser de celle qui est devenue son épouse une fois qu'ils ont découvert qu'elle était en fait un agent des Services secrets américains chargée d'infiltrer le réseau.
Faussement affable avec sa bru, elle ne cesse de l'épier du coin de l'œil et s'efforce finalement avec succès de convaincre son fils que sa trop belle épouse n'est pas celle qu'il croit, aveuglé par l'amour sans retenue qu'il lui porte.
Leopoldine Konstantin en bref : actrice tchèque née en 1886 et morte en 1965, elle a fui le nazisme et sa carrière d'actrice pour trouver refuge aux Etats-Unis où elle mène tant bien que mal sa carrière. Les Enchaînés est son dernier film pour le cinéma, elle a tourné ensuite dans quelques épisodes de séries TV.
(STRANGERS ON A TRAIN - 1951)
Dérangée et insouciante.
Mère poule envers son fils qu’elle ne veut pas laisser grandir, elle lui pardonne tout et le soutient malgré l’opposition de son époux qui le considère à juste titre comme un bon-à-rien.
Elle va jusqu’à minimiser tous ses actes et le croit incapable de nuire à quiconque préférant répondre d’un rire insouciant aux propos de la fiancée de Guy Haynes venue lui faire part des intentions meurtrières de son fils Bruno.
Elle s’adonne par ailleurs à la peinture avec un succès et un talent très relatifs…
Marion Lorne en bref : actrice américaine née en 1883 et morte en 1968, elle a connu le succès au théâtre et n'a participé qu'à 3 films de cinéma. Elle restera à jamais l'inénarrable tante Clara de la série américaine Ma Sorcière bien aimée. Ses pouvoirs surnaturels légèrement défaillants sont cause de bien des tracas.
(TO CATCH A THIEF - 1955)
Jessie Royce Landis joue aux côtés de Cary Grant qu'elle retrouvera en 1959 pour incarner cette fois sa mère dans La Mort aux trousses. Contrairement à ce second film, elle est crédible, étant âgée de 25 ans de plus que celle qui joue sa fille.
(NORTH BY NORTHWEST - 1959)
Mère poule écervelée et ne prenant jamais son fils au sérieux lorsqu'il lui raconte qu'on a voulu le tuer, elle pousse même la gaffe jusqu'à demander directement aux malfrats qu'elle rencontre dans un ascenseur bondé s'ils voulaient vraiment faire du mal à son fils.
Bien que son rôle soit peu développé, elle sait malgré tout s'y montrer convaincante et pleine d'humour.
(PSYCHO - 1960)
UN MANNEQUIN (Mme BATES, la mère de Norman)
Elle vit au travers de son fils Norman Bates investit d'une double personnalité.
Doux et innocent jeune homme lorsqu'il est lui-même, il devient un dangereux meurtrier lorsque sa mère prend son pouvoir et qu'il se métamorphose sous ses traits.
Il est complètement sous son emprise, son esprit dérangé l'innocentant complètement de ses crimes, il est convaincu que c'est sa mère qui les a perpétrés et il fait son possible pour les dissimuler, notamment en nettoyant les lieux et en faisant disparaître les preuves.
Le génie d'Hitchcock a consisté à faire croire durant la production, qui s'est déroulée dans le plus grand secret, que le rôle d'une "madame Bates" existait bel et bien. Son cadavre momifié qu'on ne découvre qu'en toute fin du film n'est en fait que sa seule représentation.
(THE BIRDS - 1963)
Il est vrai que ce dernier ne semble pas insensible à la belle mais sa mère la juge immédiatement sévèrement d'un regard froid et noir. Elle ne supporte pas l'idée qu'étant déjà veuve, son fils par ailleurs assez peu indépendant bien qu'avocat puisse lui échapper totalement.
Semblant, comme tout le village, rendre Melanie Daniels responsable de tous les malheurs qui s'abattent sur cette paisible région, elle finit au gré des événements par découvrir qui elle est vraiment et apprécie son dévouement et l'attention qu'elle porte à sa jeune fille puis à elle-même.
L'interprétation de Jessica Tandy est particulièrement réussie, elle montre parfaitement la distance puis l'affection que lui provoque Melanie, et elle va de ce fait desserrer peu à peu l'étau dans lequel elle avait enfermé son fils. On a du mal à imaginer sa réelle beauté sous son visage grave et glacial tant elle est métamorphosée pour tenir ce rôle.
Jessica Tandy en bref : actrice anglaise, née en 1909 et morte en 1994. Elle a surtout consacré sa carrière au théâtre où elle a interprété de très grands rôles. Elle a été l'épouse de Hume Cronyn, acteur dans 3 films et collaborateur d'Hitchcock.
(MARNIE - 1964)
Sans révéler l'intrigue, on apprend que sa mère sous ses dehors si peu affectifs vouait à sa fille un amour intense au point d'avoir sacrifié sa vie pour la protéger. Elle finira d'ailleurs par lui avouer "qu'elle est la seule personne qu'elle ait jamais aimée".
Froide et distante, rien ne peut lui arracher un sourire mais on apprendra que sa vie n'a pas été rose, loin de là. Si sa fille a été en partie responsable de cette vie difficile, elle ne lui en tient pas rigueur et la scène finale laisse augurer des retrouvailles pleines d'amour.
Louise Latham en bref : actrice américaine née en 1922, elle n'a pratiquement joué que dans des téléfilms. Malgré les apparences, elle n'était âgée que de 8 ans de plus que Tippi Hedren dont elle interprète la mère.